Discours, acteurs, enjeux : safari contemporain

Information et concernement

Logo Cartographie des Controverses

Les discours autour de l’alimentation responsable ne sont pas uniformes. Les cartographies présentent une photographie, en représentant visuellement la jungle des acteurs et leurs discours. Il semble intuitif que plus l’information est dense, plus il est difficile de se saisir d’être intéressé, et plus encore, concerné. C’est-à-dire passer d’une démarche passive à une démarche active dans le débat. Comment ce concernement, selon l’expression consacrée de Francis Chateauraynaud, se matérialise ? À partir de l’analyse des requêtes concernant l’écologie et l’alimentation, via Keywoord.io et l’analyse de leur évolution en France depuis 2004 via Google Trends, des « moments » de recherche active d’informations autour des thématiques de la controverse ont été identifiés, et pour chacun, a été établi une cartographie des discours d’une partie de la presse généraliste française. Il en ressort que les requêtes traduisent un concernement de plus en plus fort, déterminé par un agenda setting médiatique et politique. Les inégalités sociales et climatiques sont traitées en fonction de cet agenda. Ce concernement est un exemple de cas où le public se sent concerné sans forcément avoir de l’intérêt faute de prise dans le débat, dont la complexité et la mixité des formes du discours rendent difficiles une participation. Il en résulte une inégalité d’information autour des enjeux de la controverse, et dont l’appréhension se traduit en culpabilisation du consommateur et producteur.

Nuage de mot cartographie des controverse alimentation et écologie inégalités et responsabilisation des consommateurs

Traditionnellement issue du marketing, l’analyse des requêtes sur un moteur de recherche donne un indice sur l’intérêt, au sens large, des internautes pour un domaine particulier. Il faut néanmoins noter que l’intérêt ne se limite pas aux requêtes de moteur de recherche et que ce n’est qu’un indice. Par ailleurs, Google Trends ne permet que d’analyser les requêtes Google, et non celles des autres moteurs, ce qui constitue un autre biais. Enfin, les volumes trop faibles sont ignorés afin de protéger la vie privée de l’utilisateur. Les requêtes sont distinguées par Zouhri (2013) en requêtes navigationnelles, informationnelles et transactionnelles. Les requêtes navigationnelles sont des requêtes qui servent à naviguer vers un site internet précis, par exemple « Mangerbouger.fr », ou « La fabrique à menus ». Elles traduisent une connaissance préalable de l’internaute envers l’objet de sa recherche. Les requêtes informationnelles, correspondent à la recherche de connaissance sur un domaine ou un objet. Il s’agit souvent de longue-traînes (suite de plusieurs mots clefs articulés en langage naturel), par exemple « qu’est-ce que le réchauffement climatique » ou « pourquoi les ogm sont mauvais ? ». Cela traduit un besoin d’informations complémentaires. Ce type de requêtes est intéressant car il marque une recherche active de connaissance. Les requêtes transactionnelles marquent l’intention d’action. Elles prennent des formes différentes, mais sont marquées par un élément précis comme un lieu ou un produit particulier, par exemple « où manger bio à Lyon ? » ou « éviter le glucose ». Parmi les requêtes collectées et analysées sur la période, les deux derniers types de requêtes se retrouvent plus fréquemment. Mais plus encore, elles traduisent la responsabilisation en tant que consommateur, avec une prévalence de verbes de choix et de questions transactionnelles. Certaines requêtes navigationnelles « commandements de l’alimentation » illustrent cela également, mais traduisent aussi une forme de culpabilisation du consommateur qui se doit de manger sain, varié, équilibré et bio.

Graphique volume de recherches alimentation et écologie depuis 2004

Le graphique ci-dessus représente l’évolution du volume de recherche pour les mots clefs relatifs à l’écologie et l’alimentation, de 2004 à 2020. Les limites concernant le jeu de données sont les mêmes que pour le nuage de mot. Il permet de visualiser les tendances de recherche, et décrypter la réception de ces discours pour représenter l'évolution du concernement des publics. Des pics de recherches ont été identifiés : novembre 2004 à mai 2005, octobre 2008 à avril 2009, janvier 2014 à juillet 2014, août 2015 à février 2016, février 2017 à avril 2018, janvier 2019 à juillet 2019. Ces pics correspondent à des moments d’intérêt médiatique dans la presse généraliste, présentés ci-dessous.

La couverture médiatique des débats autour de l’écologie et l’alimentation s’est centrée autour du réchauffement climatique, et les conséquences de la fonte des glaces. Le terme réchauffement est privilégié au terme changement, à la suite de différents rapports publiés cette année-là, ce qui n’empêche pas des voix climato-septiques de s’élever, critiquant essentiellement le GIEC et sa dimension politique. La Canicule agit comme révélateur du débat et de la controverse, directement dirigée sur l’origine anthropique du réchauffement climatique.

Cette période se caractérise par la mise en avant des impacts. Les enjeux climatiques s’inscrivent en toile de fond au profit d’autres problèmes et impacts. Le discours climato-sceptique est moins visible, et le changement climatique est présenté comme une donnée acquise, un lieu commun. La rhétorique de la responsabilisation apparaît, avec un focus sur le consommateur. Le discours politique est centré sur les enjeux d’une fiscalité climatique, avec les taxes vertes et les systèmes bonus-malus. Si la notion d’inégalité climatique apparaît, seuls les médias colorés à gauche traitent du lien direct entre la politique fiscale du moment et les inégalités sociales.

L’année 2014, marquée par 3 échéances électorales, et de nombreux scandales politiques, vit s’élever les voix des acteurs, mis en avant au regard des enjeux électoraux, dans le contexte de Notre Dames des Landes. L’augmentation des prix et la responsabilité des consommateurs sont particulièrement exposés, face à des discours alarmistes sur la santé. Les OGM sont également mis en lumière, principal point de converse étant le traité transatlantique (TAFTA) en cours de négociations. Quelques voix climato-sceptiques se font entendre, en particulier pour discréditer une toile de fond de campagne électorale entre PS et EELV. Les acteurs politiques sont mis en avant de par l’agenda politique.

Les inégalités sont de plus en plus pointées par des organisations diverses, de l’OXFAM au FMI. L’éco-sceptiscisme est de plus en plus décrié, et les media mettent en avant la consommation responsable, présentée comme le premier levier d’action politique. Le végétarisme, et le bio, en particulier, sont au centre de la controverse, mais les arguments nutritionnels sont seuls mis en avant par rapport à la question de l’accès. La notion de “Dictature Végétarisme” apparaît.

En 2017, Nicolas Hulot est nommé Ministre de l'Écologie, et les médias concentrent la couverture sur cet acteur. Les annonces qui ont suivi n'ont pas eu le même écho dans les médias et l’opinion publique. Certaines, à l'image du plan climat, ont été saluées, d'autres comme le recul du calendrier de baisse du nucléaire ont provoqué des réactions négatives. L’Aéroport de Notre-Dame des Landes, le plan de sortie du glyphosate, les nouvelles ambitions pour l'agriculture biologique, la feuille de route pour l'économie circulaire sont présentés comme des dossiers politiques servant à convaincre de l’image de défenseur de la planète portée par La République en Marche. Sur le plan des requêtes, tous ces dossiers font l’objet de recherches de plus en plus importantes, signe d’une demande informationnelle grandissante de la part des français.

Les évènements comme la marche pour le climat et la médiatisation de Greta Thunberg signe un début de mobilisation massive, et la notion d’urgence devient prégnante dans les médias. Le climato-scepticisme est grandement critiqué, en particulier concernant les Etats-Unis. Les inégalités sont mises en lumière au regard de la convergence des luttes, et non plus comme simples conséquences de la politique fiscale environnementale. 

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